Extrait du livre de Marguerite Damour "Le bonheur dans le malheur"
Sa mère, Alexandrine lui a raconté ses souvenirs et Marguerite les a couchés sur le papier. C'est Alexandrine qui raconte. Cela se passe en 1940 : la famille, qui habite un hameau dans la Meuse, doit fuir car le maire a donné l'ordre d'évacuer. Ils suivent le mouvement et s'enfuient avec leurs 4 enfants et toute leur vie dans une carriole .
Nous faisions route vers Epinal. Sur le chemin, nous croisions des camions des commerçants de Verdun chargés de vêtements ou de couvertures. La ville d’Epinal était encerclée par les allemands. La vision qui s’offrit à nous me transperça le coeur. Nous vîmes de jeunes militaires français sortir des bois sous l’escorte des allemands. Il y avait une tristesse poignante dans leurs yeux, ils ne se faisaient pas d’illusions quant à leur sort. En passant près de nous, certains d’entre eux jetèrent des chaussures toutes neuves dans notre carriole. Nous apprécions cette générosité désespérée mais j’avais si peur des allemands que je me débarrassais des paires de chaussures.
Nous n’avions plus de nourriture. Seules nos réserves d’eau nous faisaient tenir le coup. Nous décidâmes d’aller dans le bois chercher quelques restes de nourritures des soldats ennemis. Nous trouvâmes des croûtons de pain que je gardais dans mes mains, tandis que Dominique et les garçons faisaient aussi leur provision. Nous n’eûmes pas le temps de nous rassasier car je réalisais tout à coup qu’un tank allemand s’avançait vers nous.
Sachant notre dernière heure arrivée, je pris les enfants en leur disant de se serrer contre moi pour leur dire adieu. Les allemands étaient deux. Ils descendirent de leur tank et l’un d’entre eux braqua son fusil mitrailleur sur la poitrine de Dominique. Pendant ce temps, l’autre procédait à une fouille minutieuse. Je serrais toujours les croûtons dans mes mains, je m’accrochais à ce pain, symbole de vie.
Celui qui fouillait Dominique me fit signe d’ouvrir mes mains. Je le fis péniblement car mes doigts étaient engourdis. A cet instant, nous étions plus morts que vifs. Nous savions que nous allions être abattus comme des chiens. Pourtant, rien de tel n’arriva. Soudain, un miracle se produisit. A la vue des croûtons de pain, le soldat que je redoutais me caressa la tête et caressa la tête des enfants. Il me fit comprendre que nous n’avions rien à craindre d’eux puis il s’adressa à l’autre soldat. Ce dernier s’en alla chercher une boule de pain, du fromage et du sucre. Il griffonna quelques mots sur une feuille en nous indiquant un endroit où se trouvait une cuisine allemande.
Dès qu’ils furent partis, je jetais le pain et le fromage de peur qu’ils soient empoisonnés. Encore sous le choc de cette rencontre, nous nous rendîmes à cette cuisine allemande mais je ne leur demandais que de l’eau pour boire. Nous n’avions qu’une idée dans la tête : fuir, fuir, fuir.